Message à une future développeuse de jeu vidéo

http://www.twitlonger.com/show/n_1s1q3pi

Un joli message de Mar_Lard à une jeune femme voulant s’orienter dans le jeu vidéo.

Je le copie ici en plus, à des fins de sauvegardes (pas vraiment confiance en Twitlonger :P ), je rappelle que je ne suis pas l’auteur de ce texte.

Bonjour,

un grand merci pour votre message qui me touche beaucoup. Vous m’épatez – à votre âge j’étais loin de m’intéresser à ces problématiques et je ne savais pas encore du tout comment je souhaitais m’orienter plus tard !

Mon but en écrivant cet article n’était certainement, absolument pas de décourager des femmes qui souhaiteraient aller vers le jeu vidéo – l’idée me terrifie ! Au contraire nous avons absolument besoin de plus de femmes (et de plus de diversité en général) dans le milieu, c’est comme ça qu’il évoluera :-) Il n’y a aucun milieu qui ne nous soit inaccessible, jamais; le jeu vidéo est tout autant notre média que celui des mecs et personne ne pourra nous en priver.

Oui, c’est vrai que c’est un milieu masculin assez macho, je ne vais pas mentir en disant le contraire maintenant. J’ai écrit cet article par ras-le-bol face à des choses auxquelles j’étais trop souvent confrontée. Cependant :

  • en l’état des choses, malheureusement, les femmes sont confrontées au sexisme partout, dans tous les milieux professionnels. Oui, ça peut se cristalliser dans des milieux plus masculins et plus machos comme le JV, mais on ne peut vraiment y échapper nulle part – même si c’est affreux à dire, on est condamnées à se battre de toute façon !

  • A l’inverse, ça ne veut évidemment pas dire que tout, partout, est pourri. Il y a plein de gens et de boîtes formidables dans le jeu vidéo, et justement refuser le sexisme fait un sacré tri à connards :D C’est à dire que naturellement, on va rechercher et être recherchée par les environnements épanouissants pour nous – et ce faisant, on les crée, aussi. Dans les premiers studios de JV où j’ai été embauchée, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires, résolument engagées contre le sexisme – et de rencontres en rencontres, c’est comme ça qu’on s’entoure bien. J’ai été employée dans un petit studio de passionnés qui m’ont soutenus dans la rédaction de mon article, et dans la tempête de réactions qui ont suivi; et qui ont même sollicité mes engagements féministes pour les intégrer à des projets de jeux.

  • C’est justement pour ça qu’on a besoin de plus de femmes, de plus de diversité dans le milieu; pour faire entendre nos voix, pour faire évoluer les choses. Notre présence au niveau de la création des jeux compte énormément; c’est ainsi qu’on peut reprendre la main pour que ce média ne soit plus uniquement créé par des hommes pour d’autres hommes. C’est bien la richesse de la diversité : amener d’autres vécus, d’autres points de vue…pour au final plus de créativité (c’est qu’il y en a marre des jeux à base de fantasmes de surpuissance virile !) Pour reprendre un exemple, aujourd’hui je travaille dans un très grand studio – une des entreprises majeures du jeu vidéo. Et oui, c’est un milieu très masculin, je me heurte parfois à des réflexes conservateurs et à une inertie frustrante. Mais réagir face à ces réflexes, objecter, protester, proposer autre chose, là où auparavant ce serait peut-être passé complètement inaperçu, ça a un effet. Etre présente, s’exprimer, interroger quelque chose qui auparavant paraissait normal, ça a un impact, ça sême quelques graines à son petit niveau – et c’est comme ça que progressivement on fait changer les choses. Et plus on sera nombreux-ses à oeuvrer dans ce sens plus ça sera efficace :-)

  • D’ailleurs le changement est en marche, malgré toute la résistance qu’il rencontre. Ca se voit particulièrement dans les pays anglophones où le sujet du sexisme dans le jeu vidéo a émergé depuis 2 ou 3 ans; le problème est discuté, pointé du doigt, là où auparavant il passait inaperçu; tout le monde se positionne sur le sujet, des créatrices et créateurs s’engagent et créent des jeux différents

  • même des gros jeux AAA dans de grands studios, maintenant; des initiatives se créent pour pour soutenir et encourager les femmes du milieu – voir par exemple cette conférence à la Game Developer Conference : http://www.gdcvault.com/play/1018080/. Et maintenant, on en parle en France aussi, même si c’est souvent pour nier férocement le problème : au moins, on en parle.

  • Enfin, et c’est le plus important…le jeu vidéo, c’est tellement génial que rien ne doit vous en décourager. Comme toute forme d’art, le jeu vidéo n’est la propriété exclusive de personne et peut prendre des formes infinies. En grand studio, en petit studio, en petit groupe indépendant ou tout-e seul-e dans son garage; l’imagination seule limite pour créer des jeux avec une multitude d’outils, pour une multitude de plateformes, une infinité de jeux pour une infinité de joueurs-ses. Si c’est que vous voulez faire, vous inventerez le jeu qui vous convient, de la façon qui vous convient.

Je prends un exemple concret : connaissez-vous les Queer Games ? http://www.polygon.com/features/2013/5/24/4341042/the-queer-games-scene Il s’agit d’un mouvement de jeux indépendants créés par des personnes trop souvent exclues par la société, et par le milieu du jeu vidéo, qui ont créé leurs jeux bien à elles pour raconter leur réalité et leurs expériences. Par exemple, Lim qui conte le dilemme d’essayer d’effacer son identité pour se fondre dans la « norme »; Dys4ia qui raconte l’expérience de la transition d’une femme trans; Mainichi qui nous fait vivre le quotidien d’une femme trans. Au sujet de la récupération du jeu vidéo comme art appartenant à tous, je ne peux que vous conseiller la lecture du livre Rise of the Videogame Zinesters par Anna Anthropy.

Si c’est le machisme du milieu qui vous inquiète particulièrement, dites-vous bien que les femmes ont toujours étées présentes partout où les hommes l’ont étés, bien qu’on tente de les en empêcher ! A l’aventure, dans la création artistique, sur le champ de bataille, aux commandes…La lutte contre le sexisme n’est pas nouvelle, et des générations se sont battues pour qu’aujourd’hui nous soyons plus libres de vivre comme nous l’entendons. A notre tour de faire tomber les bastions du machisme !

Une dernière chose : dans le gros studio où je travaille actuellement, j’ai été embauchée en toute connaissance de cause – mes collègues sont tout à fait au courant de mon engagement féministe, ils savent que j’ai écrit ces articles, je ne m’en suis jamais cachée et de toute façon ils me voient militer au quotidien. Certains sont agacés, d’autres partagent mon engagement, d’autres sont neutres mais curieux – et la discussion au quotidien permet de planter des graines. Oui, on peut (on doit!) se battre contre le sexisme de l’intérieur du milieu, et non ce n’est pas un arrêt de mort professionnel :-)

Tous mes voeux pour la suite et à très bientôt dans le jeu vidéo,

Mar_Lard